Les enfants, laissez-moi vous raconter la quarantaine de mars 2020 - la suite
Depuis que je vous ai écrit la dernière fois, les choses ont beaucoup évolué. Quand les écoles ont fermé, il y avait à peine plus de 100 cas au Québec. Depuis, nous avons dépassé les 3 000 cas. Le sentiment de stress en sourdine qui m’habitait est toujours là, mais il a perdu de son effet de sourdine. Parfois j’ai peur. Une peur bleue qui me paralyse et qui me glace le sang. Le virus est tellement contagieux et malgré toutes les mesures mises en place on finira surement par l’attraper. Nous respectons les consignes de sécurité à la lettre, mais qu’arriverait-il si nous étions touchés malgré tout?
Le gouvernement a décidé de fermer tout ce qui n’était pas essentiel. Presque tout le Québec travaille de la maison. Les routes sont vides, mais les rues sont prises d’assaut par les marcheurs. Après tout c’est la seule chose qui soit encore totalement autorisée hors de la maison : aller prendre une marche. Alors on croise des voisins, des gens du quartier et on les salue de loin.
On ouvre la télévision un peu avant 13 h tous les jours pour savoir où on en est. On veut connaître le bilan, mais on veut aussi savoir si les mesures prises par le gouvernement seront encore plus sévères que celles de la veille. Le gouvernement se fait rassurant, mais on a quand même les genoux mous en écoutant le point de presse. Les chiffres montent et du coup mon sentiment de sécurité descend à vitesse grand V.
Si je dois sortir pour aller à l’épicerie, je passe un temps fou à faire ma liste. Je ne veux pas avoir à y retourner inutilement. Les magasins ont mis en place toutes sortes de mesures pour éviter que les gens ne soient trop près les uns des autres. On se croirait dans un film. Et quand je reviens à la maison, nous nettoyons et désinfectons les achats. Chaque fois je me dis que ça n’a pas de sens…
Pour passer le temps, on appelle la famille et les amis via le web. On se jase de nos journées, de ce qui se passe partout dans le monde. On spécule sur la date à laquelle on pourra recommencer à se voir. On prend un verre chacun de notre côté de l’écran et on est un peu ensemble malgré tout.
J’essaie tellement que vous ne sentiez pas la panique qui me prend parfois. Comment vous pourriez gérer cette vague d’inquiétude du haut de votre enfance quand j’ai moi-même de la difficulté à la comprendre et à la contenir. Quand allons-nous retrouver notre routine normale? Est-ce que tout reviendra un jour comme avant? Et si nous étions de ces statistiques dans les prochaines semaines? Si un de nous devenait un nombre qui s’ajoute au bilan déjà épeurant qu’on nous présente chaque jour?
Puis je me parle, je me dis qu’au travers de cette période où plus rien n’est pareil, on a la chance de s’avoir. On passe beaucoup de temps ensemble, on collectionne les fous rires, on apprend à se tolérer même quand on n’a plus tellement le goût d’être ensemble, on se développe une mini-routine, une routine qui ne reviendra probablement plus jamais une fois le confinement terminé. Je me dis d’en profiter, de voir le bon côté des choses et d’attaquer la liste interminable de choses que je n’ai jamais le temps de faire.
Je vous réécris bientôt. En espérant cette fois que ce sera pour vous raconter comment tranquillement le Québec se remet de la crise de la Covid-19. Je souhaite de tout cœur que ce ne sera pas pour vous raconter comment le virus est entré dans notre maison ou dans notre famille. D’ici là nous sommes sages. Nous écoutons ce que l’équipe du gouvernement et de la santé publique nous demande. Mais pour combien de temps encore?
Texte par Janie Larivière
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