Lettre à ma fille Aude, née à 31 semaines
Chère Aude,
Rien ne prépare une maman à l’arrivée d’un bébé prématuré. Pour moi, l’expérience a commencé le 28 septembre 2014, lorsque les membranes se sont rompues à 30 semaines de grossesse. J’ai alors été transférée d’urgence au CHUL où je t’ai donné naissance une semaine plus tard.
Toi, ma merveilleuse fille. Après deux garçons extraordinaires, je ne pouvais espérer un plus beau cadeau de la vie. Ton séjour dans mon ventre a été difficile, j’ai pensé te perdre plusieurs fois…
Et, soudainement, tu étais là. Si petite et, en apparence, si fragile.
Ton arrivée précipitée a été un choc pour moi. Je ne voulais pas de cette naissance avant terme. J’étais dans le déni et je ressentais beaucoup de culpabilité.
Est-ce que j’aurais pu, d’une façon ou d’une autre, éviter de t’infliger une naissance prématurée ?
Si j’avais moins travaillé ?
Si j’avais été alitée plus tôt ?
Si j’avais vécu moins de stress ?
Si j’avais été une femme enceinte plus zen, qui caresse son ventre rebondi sans être pressée d’en voir sortir un bébé ?
Ces questions m’ont habitée dès mes premières contractions…
Et elles risquent de me hanter encore longtemps !
Au-delà de la culpabilité, qui était présente dès mon hospitalisation, ta naissance a été un choc pour moi, car elle m’a précipitée dans un univers inconnu, où la médecine est omniprésente. Devoir me séparer de toi si vite, pour te retrouver aux soins intensifs deux heures plus tard, au milieu de tous ces fils et de ces alarmes incessantes, m’a profondément traumatisée.
J’étais en colère, je me sentais coupable, impuissante et tellement vide. Un puits sans fond de tristesse… Je répétais sans cesse : « je ne serai pas capable ». Ton papa s’est bien occupé de moi cette nuit-là. Il est resté fort pour nous. Il m’a bercée en me murmurant des paroles rassurantes à l’oreille.
Je suis retournée à ton chevet quelques heures plus tard. J’ai mis les mains dans ton incubateur pour toucher ton petit corps chaud, plein de vie, et j’ai eu l’incroyable chance de te prendre contre moi, peau contre peau, en kangourou.
Ce fut un moment tellement magique que je ne pense pas être en mesure un jour de te l’expliquer avec des mots. J’ai ressenti une paix intérieure comme si, à partir de ce moment, je savais que tout irait bien. J’allais me battre avec toi, à tes côtés, et nous allions sortir de ce cauchemar.
Un autre choc m’attendait lorsque ce fut le temps de quitter l’hôpital sans toi, sans la bedaine, mais avec les bras vides. Étant donné que nous habitions en région, je ne pouvais pas rentrer à la maison, avec ton papa et tes frères. Ils me manquaient terriblement.
Mais tu avais besoin de ma présence plus que quiconque, j’en avais la certitude. Nous avons alors commencé une routine qui avait quelque chose d’apaisant. Je passais mes journées entières à ton chevet, à l’hôpital, où je tirais mon lait aux trois heures pour que tu puisses le prendre par gavage.
J’étais là pour participer à tes soins, te chanter des berceuses par les petites fenêtres de ton incubateur, et te prendre en peau à peau quand ton état le permettait. Les alarmes étaient toujours là, en trame sonore, mais j’avais appris à connaître le degré d’urgence qui leur était associé.
J’étais aussi capable de te stimuler au besoin. Le jargon médical de la prématurité n’avait plus de secret pour moi : mes discussions quotidiennes, avec les autres parents et les infirmières, tournaient autour de la « désaturation » et des « bradycardies ».
Cependant, je devais me séparer de toi chaque nuit. Je me retrouvais alors seule, loin de toi, de tes frères et de ton papa, avec mon tire-lait et mes peurs… J’avais peur des infections, des séquelles possibles, de la mort. Peur que les problèmes s’intensifient lorsque tout allait mal ou d’un retour en arrière lorsque la situation s’améliorait.
Dès l’aube, j’appelais l’hôpital pour prendre de tes nouvelles, connaître ton poids, avoir un résumé de ces quelques heures passées loin de toi et, je dois l’avouer, me préparer au pire avant de te rejoindre.
Chaque fin de semaine, tes frères venaient à Québec, chez ton oncle et sa famille qui avaient la gentillesse de nous héberger, et nous échangions les rôles ton père et moi. J’achetais des cadeaux à tes frères et je leur proposais de multiples activités en espérant leur faire oublier mon absence, pendant que papa passait ses journées à ton chevet. Pour lui aussi, c’était difficile. Tu lui manquais beaucoup.
Nous avons eu énormément de chance dans cette épreuve, car tu as eu un parcours de prématurée exemplaire. Après trois semaines d’hospitalisation, tout est allé très vite. Ton réflexe de succion a commencé à se développer et j’ai enfin pu te mettre au sein et envisager de t’allaiter comme je l’avais fait pour tes frères.
Peu à peu, les médecins et les infirmières ont commencé à nous parler d’un transfert dans notre région. J’ai paniqué à cette idée. Je m’étais attachée aux autres mamans des salles que nous avions fréquentées, je connaissais bien la plupart des infirmières.
J’avais développé des liens avec ces femmes extraordinaires, avec qui j’avais partagé mes peurs et mes rêves pour toi, avec qui j’avais souvent pleuré, parfois rigolé… Je devais les quitter pour un autre hôpital, où je craignais que l’on se « pratique » sur toi.
Malgré mes craintes, le transfert s’est bien déroulé et j’ai eu l’occasion de tisser des liens avec d’autres mamans et des infirmières qui se sont révélées, à mon grand soulagement, aussi empathiques que compétentes.
J’ai dû m’habituer à des alarmes et des façons de faire différentes, mais la difficulté principale était alors de partager mon temps entre l’hôpital et la maison. Je ne pouvais pas passer tout mon temps avec toi, car je devais aussi penser à tes frères, à leur suivi scolaire et à leurs activités. Ils avaient, eux aussi, besoin de moi. Ils avaient eu peur pour toi, avec raison, et ils étaient inquiets.
Tu as commencé à t’alimenter normalement et ton sevrage a commencé. Nous devions attendre que tu sois prête à rentrer à la maison, sans moniteur. Dans ton cas, il s’agissait que les bradycardies liées à ta prématurité cessent. J’étais impatiente et pas toujours sympathique avec les infirmières et les médecins qui essayaient pourtant de nous aider. Je me sentais à bout…
Ce jour tant attendu est finalement arrivé, après 47 nuits d’hospitalisation. Ce fut un soulagement immense de détacher tous les fils qui reliaient ton petit corps aux différents moniteurs. Nous pouvions enfin être tous ensemble, réunis à la maison.
Ce fut notre plus beau Noël en famille !
Aujourd’hui, à quatre mois d’âge réel (deux mois d’âge corrigé), tu continues de nous épater tous les jours. En écrivant ces quelques lignes, je te regarde jouer sur ton tapis d’éveil et tu es magnifique. Ton développement est rapide sur tous les plans et tu fais les plus beaux sourires du monde.
Pour l’instant, tu ne présentes aucune séquelle de ta prématurité. Ta force nous inspire à dépasser nos limites et à savourer chaque minute de cette vie, à la fois fragile et merveilleuse. Nous sommes fiers de toi, de notre famille. Je ne peux toutefois m’empêcher de m’inquiéter pour toi, pour ta santé.
Contrairement à ce que j’ai fait avec tes frères, je ne peux m’imaginer parcourir le monde avec toi. Le simple fait de sortir de la maison pour tes rendez-vous médicaux devient une folle aventure.
Je te promets de m’améliorer sur ce point… Et bien d’autres !
Le jour de ta naissance, j’ai un bref instant pensé que je n’étais pas faite pour t’aimer.
J’ai eu tort et je m’en excuse profondément, car je sais depuis cet instant que ma vie ne serait pas complète sans toi.
Je t’aime et je serai toujours là pour toi.
Maman
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Article rédigé par Ève Pouliot
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